1 octobre 2024

[ Entretien] Ibrahim Hamidou Dème : “Le Président de la République ne doit plus avoir l’exclusivité dans la nomination des juges du Conseil constitutionnel”

Après Babacar Fall qui s’est prononcé sur les réformes annoncées du système électoral, au tour de Ibrahima Hamidou Dème de donner son éclairage sur la volonté du Président Bassirou Diomaye Faye d’entreprendre “des réformes pour redorer le blason de la justice”. L’ancien Magistrat expose les réformes qui lui paraissent les plus urgentes

n 2018 vous disiez « démissionner d’une justice qui a démissionné ». A la veille de la célébration de la fête de l’indépendance le tout nouveau président Bassirou Diomaye Faye promet d’appeler à des concertations pour dit-il « redorer le blason de la justice, lui rendre le prix qu’elle mérite et la réconcilier avec le peuple au nom duquel elle est rendue ». Pour vous qui, il y a quatre ans, avez claqué la porte de la magistrature, cela doit être certainement une bonne nouvelle ?
Bien sûr ! La réforme de la justice constitue une sur priorité pour toute personne qui est attachée à l’état de droit et à la démocratie. On a constaté depuis une vingtaine d’années et cela s’est exacerbé depuis quelques années surtout depuis 2012 qu’il y a une atteinte extrêmement grave à l’indépendance de la justice. Cette atteinte est du fait de l’hégémonie du pouvoir exécutif par rapport au pouvoir judiciaire de telle sorte que les justiciables ont pratiquement perdu confiance en la justice. C’est pourquoi, il est impératif de faire des réformes profondes pour que le citoyen puisse retrouver confiance aux magistrats, retrouver confiance en la justice. Mais aussi pour permettre au Sénégal qui était une démocratie de retrouver la place qu’il avait dans le concert des nations démocratiques.

Répondant aux accusations selon lesquelles la justice est instrumentalisée, l’ancien ministre de la justice Ismaila Madior Fall répondait que la justice marchait et qu’on ne parlait d’instrumentalisation que quand ça concerne les politiques. Qu’en dites-vous ?

C’est une manière de voir. Si on s’en tient au volume des contentieux examinés par les magistrats, les affaires dites politiques n’en constituent qu’une infime minorité. Mais j’ai l’habitude de dire que l’indépendance de la justice est mesurée à l’aune des affaires qui sont médiatisées, aux affaires qui concernent les hommes politiques…

Depuis 2000 et surtout depuis 2012, on remarque qu’on ne poursuit que les opposants politiques, qui ne sont pas aux affaires alors qu’il aurait été plus logique que les personnes qui gèrent nos deniers publics soient poursuivies”

Ce qui semble être un jugement partial…

Non. Il est normal que l’on essaie d’apprécier l’indépendance de la justice par rapport à ce que nous connaissons, par rapport aux affaires qui sont portées à notre connaissance. C’est quelque chose de tout à fait normal. Et surtout par rapport aux affaires qui concernent les hommes politiques. L’indépendance de la justice n’a qu’un objectif, c’est essayer de tout faire pour que les magistrats puissent prendre leurs décisions au-delà de toute pression. Le magistrat, rappelons-le, n’est soumis qu’à l’autorité de la loi. C’est la Constitution du Sénégal qui le dit. On se rend compte que dans les affaires qui ont une connotation politique ou qui impliquent des hommes politiques très connus, des leaders de l’opposition, que la justice fonctionne de manière à ce qu’on considère qu’elle n’est pas indépendante. Depuis 2000 et surtout depuis 2012, on remarque qu’on ne poursuit que les opposants politiques, qui ne sont pas aux affaires alors qu’il aurait été plus logique que les personnes qui gèrent nos deniers publics soient poursuivies, je ne parle pas de condamnation. C’est une justice à deux vitesses qu’on constate. Une justice qui s’applique pour des opposants. Une justice qui néglige d’agir même quand il y a des rapports dont on a connaissance qui mettent en évidence parfois une gestion extrêmement grave des deniers publics. Jusque-là dans la gouvernance du président Macky Sall, on n’a pas constaté une seule fois un responsable du régime qui est inquiété. Cela renforce l’idée que la justice ne fonctionne pas de manière équitable, que c’est une justice à deux vitesses et cela nous renseigne qu’il faudrait des réformes profondes pour que la justice puisse retrouver son indépendance.

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